Une coalition de sociétés de médias, de radiodiffuseurs et de distributeurs sous le nom de « FrancJeu Canada » tente de faire pression au Canada pour qu’il mette en place un régime extrajudiciaire accéléré de blocage de sites Web dans le but de prévenir les téléchargements illicites et le piratage d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Le régime proposé est actuellement à étude par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), une agence comparable à la « Federal Communications Commission » (FCC) aux États-Unis.

Cependant, nous croyons que la proposition actuelle du CRTC est erronée et imparfaite. Nous sommes toujours en cours d’évaluation de cette proposition, et arborons dans le présent document quelques réflexions préliminaires.

La proposition

La coalition demande au CRTC de créer un organisme à but non lucratif à temps partiel qui recevra les plaintes de divers titulaires de droits alléguant qu’un site Web contrevient « de façon manifeste, évidente ou structurelle » aux lois canadiennes des droits d’auteur. S’il est déterminé que les sites sont en violation avec les lois canadiennes des droits d’auteur, les FAIs canadiens exigeront que l’accès à ces sites Web soit bloqué. Cependant, cette proposition ne stipule aucunement quelles mesures seraient mises en œuvre pour y parvenir.

Le consortium propose de nombreuses mesures de protection afin de démontrer que le processus sera utile et équitable. Il propose entre autres que les sites Web concernés, les FAIs, ainsi que les membres du public aient l’occasion de contester une demande de blocage d'un site. Le consortium suggère également que toute demande de blocage soit mise en œuvre uniquement lorsque le CRTC adopte la recommandation de fermeture ; toute partie touchée aura le droit de faire appel devant un tribunal.

Selon FrancJeu, le système indispensable afin de prévenir que les téléchargements illégaux détruisent l’industrie créative canadienne et nuisent à sa culture.

Problèmes (quelques-uns)

Comme le souligne Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche au Canada en droit d’Internet à l’Université d’Ottawa, le Canada a eu plus d'investissements dans la production télévisée et cinématographique l’année dernière qu’à n'importe quel autre moment de son histoire. D’ailleurs, ce n’est pas seulement l’investissement dans l’industrie créative qui est en croissance : Bell a également reconnu dans un communiqué que les moyens légaux d’accéder aux contenus créatifs sont également en croissance. Contrairement à l'argument avancé par l'industrie du contenu et les autres militants de FrancJeu, les investissements, les services de cinéma et de télévision légaux ne cessent de croitre. Les industries canadiennes du cinéma et de télévision n’ont pas besoin de blocage de site Web.

La proposition exigerait que les fournisseurs de services fassent « disparaitre » certains sites Web. Ceci mettrait en péril la sécurité de l’Internet et enverrait un message troublant : il est acceptable d'interférer avec Internet, voire de mettre en liste noire des domaines entiers, tant que vous le faites dans le but d’encourager la protection de la propriété intellectuelle. Davantage, bloquer l’accès à des domaines entiers pourrait impliquer des milliers de sous-domaines n’ayant rien à se reprocher. Bien que la proposition n'explique pas la façon dont le blocage de sites Web serait mis en œuvre, lorsque de tels plans ont été discutés dans d'autres contextes, il a été noté que les méthodes technologiques pour « bloquer » les sites Web pourraient causer des ravages sur l’Internet.

D’ailleurs, nous sommes conscients jusqu’à quel point ces erreurs peuvent causer du tort. Par exemple, en 2011, le gouvernement américain a saisi les noms de domaines de deux sites Web populaires sur la base d'allégations non fondées d'atteinte au droit d'auteur. Le gouvernement a détenu ces noms de domaines pendant plus de 18 mois. Autre exemple, une entreprise a cité 3 343 sites Web dans une action en justice pour atteinte aux droits de marque et droits d'auteur. Sans opposition, la société a pu obtenir un ordre judiciaire qui obligeait aux bureaux d’enregistrement de noms de domaines de saisir tous les domaines en question. Ce n’est qu’après de nombreuses plaintes de la part des accusés que la Cour s’est rendu compte que les droits d'auteur invoqués n'étaient aucunement justifiés. Bien que le système proposé impliquerait le blocage plutôt que la saisie des noms de domaines, la problématique est claire : des erreurs peuvent être commises, et ces erreurs peuvent avoir un effet à long terme.

Mais au-delà du blocage pour violation du droit d’auteur, nous avons également vu qu’une fois qu’un système est en place pour supprimer certains contenus, ceci provoque des appels à plus de blocage, y compris du blocage à discours légal. Cela soulève d'importantes préoccupations en matière de liberté d'expression et de censure.

Nous sommes également préoccupés en ce qui concerne les « saisines réglementaires ». Dans ce type de système, l’idée est que le régulateur tente fréquemment d’aligner ses intérêts avec la règlementation existante.  Ce système sera financé par les titulaires de droits, emploiera des gens avec « expérience » à « temps partiel » et sera mis en marche seulement lorsque cesdits titulaires de droits jugent le système comme étant utile. Ces types d’aspects structurels de la proposition ont tendance à provoquer la capture réglementaire.  Un système judiciaire impartial qui évalue globalement l’ensemble des dossiers des partis du point de vue des aspects politiques, sociaux et culturels évite ce piège.

En conclusion, nous ne sommes toujours pas convaincus de la nécessité de cette proposition. Le Canada possède déjà des lois antipiratage les plus sévères au monde. La proposition actuelle n’ajoute que plus de complexité au processus en plus de retirer certains éléments de protection qu’une cour pourrait accorder aux sociétés de bonne foi (même si certains n’apprécient pas ces acteurs).

Ce que vous pouvez faire

Le CRTC accepte actuellement les commentaires du public sur cette proposition et a reçu jusqu’à maintenant plus de 4,000 commentaires. La date limite est le 1er mars quoiqu’une extension de cette date a été demandée. Nous encourageons tous les gens du public intéressés de soumettre leurs commentaires afin que la Commission puisse connaitre vos opinions. Veuillez prendre note que tous les commentaires soumis et incluant certaines informations personnelles de votre part seront nécessaires.