L’Union européenne est sur le point de donner encore plus de pouvoir à une poignée d’entreprises géantes états-uniennes en technologie, en échange contre des accords temporaires de partage des bénéfices avec une poignée d’entreprises géantes européennes de divertissements. Cela entraînerait en contrepartie une censure de masse et affaiblirait encore plus la position de négociation des artistes professionnels européens.

Plus de quatre mois sont passés depuis que les négociateurs parlementaires de l’Union européenne et les représentants des gouvernements nationaux d’Europe ont disparu derrière des portes closes pour préparer au vote la nouvelle Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Malgré tout ce temps et toute cette solitude béate, ils n’y sont pas arrivés.

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La directive présente les mêmes problèmes depuis le début :

  • Article 11 : une proposition pour faire payer les plateformes qui publient des liens vers les sites de nouvelles en créant un droit de licence, auquel elles ne pourront pas renoncer, pour tout lien provenant de services à but lucratif (dès que ces liens comprennent plus d’un mot ou deux provenant de l’article d’information ou de son titre). L’article 11 ne définit pas ce que sont des « sites de nouvelles », des « plateformes commerciales » ni des « liens », ce qui invite 28 pays européens à créer 28 régimes de licences mutuellement exclusifs et contradictoires. De plus, le fait qu’il est impossible de renoncer au « droit sur les liens » signifie que les sites de nouvelles libres d’accès, d’intérêt public, sans but lucratif et « Creative Commons » ne peuvent pas se soustraire au système.
  • Article 13 : une proposition pour mettre fin à l’apparition, même pour un instant, d’œuvres protégées par le droit d’auteur et sans licence sur les grandes plateformes de contenu généré par les utilisateurs. Il comprenait initialement le mandat explicite de concevoir des « filtres » qui examineraient toutes les publications sur les réseaux sociaux, peu importe leur provenance dans le monde, et vérifieraient si elles correspondent à des entrées dans une base de données ouverte et participative de contenus censément protégés par le droit d’auteur. Sous sa forme actuelle, le règlement dit que les filtres « devraient être évités », mais n’explique pas comment des milliards de publications sur les réseaux sociaux, de vidéos, de fichiers audio et d’articles de blogue devraient être surveillés, à la recherche de violations du droit d’auteur, sans faire appel à des systèmes automatisés de filtrage.

Dans les deux cas, les propositions de l’UE pourraient entraîner de petits transferts des grandes entreprises états-uniennes en technologie vers les industries européennes du droit d’auteur (les familles de presse allemandes, les filiales européennes de maisons de disques mondiales), mais à un coût terriblement élevé. 

Prenons l’article 11 : le règlement permet aux journaux de décider qui peut établir des liens vers eux et de facturer le montant qu’ils pensent que le marché peut supporter pour ces liens. Alors qu’il est improbable que les géants de presse européens s’interdisent mutuellement d’établir des liens vers leurs articles, on ne peut pas en dire autant pour les géants de presse bien établis et la jeune presse critique. Les petits organes de presse indépendants peuvent complètement être empêchés d’établir des liens vers les sources de nouvelles bien établies, même à des fins de critique et de commentaire, ou ils pourraient devoir payer des sommes bien plus importantes que leurs homologues bien en vue.

Et alors que Google et Facebook regretteront la perte de quelques millions d’euros qu’ils devront payer aux principaux services de nouvelles, ce n’est rien comparé à l’avantage à long terme : des géants en technologie qui n’auront jamais à s’inquiéter qu’une jeune pousse « Fabriqué dans l’UE » se développe jusqu’à les défier. Ces petits joueurs n’auront pas les millions à dépenser, comme la grande industrie états-unienne en technologie le fait déjà.

L’article 11 atteint le secteur indépendant des deux côtés : non seulement les indépendants devront payer pour publier des liens vers la presse grand public, mais ils ne pourront pas autoriser les autres à publier gratuitement des liens vers leurs propres nouvelles. Les règles édictées par l’article 11 stipulent que les sites de nouvelles d’intérêt public, sociofinancés, libres d’accès et « Creative Commons » ne peuvent juste plus permettre à n’importe qui de publier des liens vers eux : ils doivent plutôt négocier une licence de publication de liens avec chaque site commercial et percevoir des frais dans tous les cas.

 L’article 13 est encore pire. Bien que l’ébauche actuelle dise que « les filtres doivent être évités », il est aussi conçu pour garantir que des filtres seront nécessaires. Les trois derniers mois ont été passés à ajouter une longue liste de clauses impénétrables, contradictoires et incohérentes, en insistant que quelque technologie théoriquement parfaite pour filtrer des centaines de milliards de communications et les trier en « contrevient » et « ne contrevient pas » peut être créée en votant une loi (elle ne le peut pas). 

Construire des filtres pour l’article 13 coûtera vraisemblablement des centaines de millions d’euros, coût que seules les grandes entreprises états-uniennes peuvent se permettre et qu’aucune entreprise européenne ne peut supporter. L’exemption qui permet aux entreprises qui disposent de moins de 20 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel d’éviter les filtres importe peu : si ces entreprises doivent se mesurer aux géants états-uniens, elles devront se développer, et elles ne pourront pas dépasser 20 millions d’euros de chiffre d’affaires si cela implique qu’elles doivent trouver des centaines de millions d’euros pour se conformer à l’article 13.

L’UE offre sur un plateau d’argent une garantie ininterrompue de dominance d’Internet aux grandes compagnies en technologie. Sans concurrence, ces géants n’ont qu’à se craindre mutuellement.

Pendant ce temps, alors que le nombre d’entreprises en technologie qui contrôlent l’accès à Internet s’étiole, leur pouvoir grandira. La capacité des artistes indépendants et des sociétés de production à négocier des ententes équitables s’amenuisera constamment, ce qui permettra aux grandes entreprises en technologie et à celles du divertissement de jouir d’une part toujours grandissante du produit généré par le labeur des créateurs. 

Bien sûr, la grande majorité des Européens n’œuvrent pas dans l’industrie du divertissement, et seule une très petite portion des utilisations d’Internet est à caractère divertissant. L’article 13 prendra en otage l’utilisation d’Internet de 500 millions d’Européens grâce à une manœuvre loufoque afin de générer de maigres gains pour les artistes, et pendant ce temps, les filtres de censure de l’article 13 produiront en masse les mêmes jugements inutiles, source d’erreurs qui en sont venus à illustrer la discrimination algorithmique au 21e siècle. 

Il n’est pas trop tard : le Conseil européen, composé de représentants des États membres de l’UE tels que la Belgique, se prononcera bientôt sur la directive. Sa décision façonnera l’avenir d’Internet, possiblement pour des générations. Nous encourageons les Belges à agir, à dire à leurs représentants de porter un coup en faveur de l’équité, contre la concentration et la censure du marché.

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